« Si l’on efface notre histoire, nous n’existons plus, nous n’avons plus d’enracinement nous allons perdre toute la richesse de nos ancêtres et de notre origine. »

Architecte, urbaniste et scénographe de renom, Halim Faidi a participé à la semaine de l’architecte, organisée par l’Ordre des Architectes du Burkina en mars 2023.
Avec plus de 30 ans d’expérience dans le domaine de l’architecture et de l’urbanisme, ce franco-algérien a fondé sa  société à Paris ainsi qu’un atelier d’architecture à Alger. Son travail inclut des projets prestigieux tels que le nouveau siège du ministère des affaires étrangères algérien, le Musée d’Art Moderne d’Alger, la tour des Galets à Oran et le nouveau Siège de Djezzy à Alger. Il est également décoré de nombreux prix, dont le 1er Prix National d’Architecture et d’Urbanisme et le Prix du Président de la République.
Cet éminent expert, invite ses pairs à allier tradition et modernité dans les travaux architecturaux. Car pour lui, il faut comprendre le passé, imaginer l’avenir et construire le présent en plaçant l’homme au centre des projets de société.

Vous êtes un des experts les plus sollicités.  Comment êtes-vous venu     à  ce métier ?

 j’ai fait mes études principales en Alger à l’école polytechnique d’architecture et d’urbanisme. Par la suite j’ai été faire un doctorat en France mais très vite je me suis passionné pour le métier. Quand j’ai gagné la médaille de l’académie, j’ai été recruté par le président de l’académie d’architecture pour travailler sur un grand projet en France et j’y ai passé une dizaine d’années.

De la France, votre pays vous appelle pour un ambitieux projet….

 A un moment donné, je me suis rendu compte que nos pays ont besoin de se construire. Je suis donc rentré au pays, et j’ai créé en 2003 une agence qui s’appelle Studio A. J’ai eu la chance à Alger de dessiner un projet très important qui est le projet du siège du ministère des affaires étrangères, le premier bâtiment de souveraineté, conçu par un Algérien depuis l’indépendance du pays. C’est un double motif de fierté parce que c’est d’abord un grand programme mais aussi parce quand on est le premier à faire cela. La responsabilité est lourde parce qu’on sait qu’on doit montrer le chemin. C’était un exercice et mon premier exercice pour allier « tradition et modernité ». Depuis, je ne suis jamais sorti de cette idée de rechercher nos racines, rechercher la tradition.

Votre chef d’œuvre se dresse majestueusement au cœur de la capitale algérienne. Une œuvre faite, d’un savant mélange de tradition et de modernité……

J’ai plus de 30 ans de métier et de plus en plus je me rends compte qu’en termes d’histoire et de tradition, je suis un méditerranéen, la façade nord de l’Afrique. J’ai 5 millions d’années de profondeur historique en méditerranée mais j’ai 15 millions d’années de profondeur historique dans le Sahel et dans l’Afrique. Je suis fier d’avoir cette double culture et d’être peut-être le pont africain vers le Nord.

Vous êtes à Ouagadougou dans le cadre de la semaine de l’architecture, dont le thème est : « 30 ans au service de la production au Burkina Faso, entre situation d’urgence et changement climatique comment avez-vous trouver la qualité des différentes communications?

Je voudrais remercier l’honorable Aristide Bazié qui est  le président  de l’ordre des architectes du Burkina Faso pour l’accueil, la disponibilité mais, surtout pour avoir pensé qu’il était pertinent de m’inviter à donner une conférence lors de la semaine dédiée aux architectes à Ouagadougou. C’est la première fois que je foule le sol du Burkina. Je peux vous rassurer que cela ne sera pas la dernière. Je connais bien le Mali, la Mauritanie, le Sénégal, la Côte d’Ivoire. Je me sens chez moi dans ces pays limitrophes. Je dis limitrophes car, les limites ont été tracées par les puissants probablement pour nous diviser et pour mieux régner. C’est à nous de les effacer aujourd’hui.

La question du climat n’est pas assez pris en compte dans les plans architecturaux..

La question du climat est très importante parce que l’on ne se la pose pas seulement en termes de confort ou d’idéologie, comme elle se fait, dans un occident très confortable. Nous nous la posons parce que nous sommes dans une situation de résistance et nous sommes beaucoup plus affecté que ceux qui produisent ces émanations de gaz.

 Les changements de climat sont souvent dû à l’homme et l’homme occidental est un très grand consommateur d’énergie. Ces énergies, d’où viennent-elles pour la plupart ? Elles viennent du plus grand continent du monde l’Afrique, et également peut-être le moins transformé du monde. Donc il est très important qu’on se pose la question de la transformation. Les questions que nous sommes tous, en train de nous poser, est-ce que nous devons adopter ce modèle occidental qu’on nous chante comme l’évolution, la vérité et qui finalement est un regard occidental sur l’Afrique ?

Nous, nous les connaissons bien mais eux ils ne nous connaissent pas et très souvent, ils viennent faire une lecture de nos reflexes racinaires et de nos traditions racinaires pour aller ensuite bâtir des choses qui correspondent à leurs besoins mais sommes-nous obligés de faire l’inverse ?

Ils ont certainement une longueur d’avance et peuvent être une référence…

 HF : Il faut évidemment profiter de tout ce que l’être humain a pu acquérir comme évolution technologique parce que nous sommes des êtres humains.

A ce titre, il y a eu le réveil des élites africaines. Je l’ai entendu ici, à  Ouagadougou au cours de mon séjour sur la question du concept : la question du modèle, le modèle global, comment va vivre la société ? Quel est le statut des croyances ? Quel est le statut de l’expression ? De l’habitat ? De l’écologie ?  La culture ? Etc. Peut-être que sur le modèle, il faudrait qu’on leur propose un ou plusieurs modèles qui soient des modèles locaux, des modèles afro africains.

Comment concilier cette culture de la tradition africaine dans la conception de l’architecture ?

c’est très facile, il faut voir l’œuvre des pionniers.

Nous avons eu le privilège de suivre une conférence extraordinaire de Francis Kéré. Quand on voit le village d’où il vient, on se dit mais c’est impossible qu’il remporte un prix Nobel un jour. Mais c’est une pensée occidentale. Par contre, le ghanéen ou le nigérien, qui court dans la rue, qui a peut-être 7 ou 8 ans, il rêve de la même manière que le petit gamin sous les toits brésilien ou américain. C’est le rêve qu’il ne faut pas éteindre. Il faut simplement rêver et se dire, je suis un alter ego, je suis peut-être, un peu plus qu’un alter égo parce j’ai une profondeur historique et culturelle que je ne dois pas effacer. Si l›on efface notre histoire, nous n’existons plus, nous n’avons plus d’enracinement nous allons perdre toute la richesse de nos ancêtres et de notre origine. Pour ce faire, nous devons nous regrouper entre africain, mettre en commun ce qui nous rassemble que ce qui nous divise. Qu’est-ce que nous avons de commun ? A partir de cet héritage commun, il faut que nous les architectes, les hommes de l’art, nous puissions trouver les mots,

le narratif, le récit pour expliquer à ceux qui décident et ceux qui gouvernent qu’ils ne sont pas nécessairement des sachants dans ces domaines. Le Président de la république c’est quelqu’un de très important, les ministres aussi. Quand ils tombent malade, ils vont chez le docteur. A la prescription, ils ne demandent pas au docteur pourquoi tu m’as donné de l’aspirine en lieu et place du doliprane, ils se disent,  je suis chez un homme de science, je vais lui faire confiance. Il faut que les architectes en arrivent à ce degré, de telle sorte que les politiques, les décideurs, soient à leur écoute et leur faire entièrement confiance.

Les meilleurs architectes doivent arriver à convaincre, et pour convaincre, il faut s’assoir ensemble, réfléchir sur ce que nous avons de commun et de puissant. Et la puissance de l’Afrique, elle n’est pas à prouver aujourd’hui à tel point que beaucoup ne voient pas de bon œil ce réveil de  notre Afrique à nous .

Vous avez 30 ans d’expérience dans ce domaine. Quel est des lieux de l’architecture africaine ?

 L’architecture africaine a deux faces comme une pièce. D’un côté, elle est sinistrée. Si vous dites architecte à Ouaga, à Banjul, à Bamako, très souvent on vous demande, es-tu ingénieur, contre-maitre, un bâtisseur, un maçon ? Ce métier est méconnu. On ne comprend pas bien ce qu’est, être architecte, parfois, l’on dit que l’architecte est un artiste, artiste au sens péjoratif puisqu’artiste chez nous, veut dire, il est un peu fou. Il est philosophe alors que l’architecte, il produit en réalité de l’espace, celui dans lequel nous vivons. Il y a des espaces qui nous rendent gaid , qui nous rendent tristes, qui nous enferment.  Et pour les villes, c’est pareil. Les villes sont le reflet de la société. Si tu fais une ville pour une société occidentale et tu y mets des africains, cela ne marchera pas. Notre mode de vie et notre culture qui passent par notre ADN, ne sont pas adaptés à ces genres de construction, d’environnement Mais si vous mettez un européen dans un espace conçu pour les africains, il va marcher parce que c’est un espace primaire et c’est un espace essentiel. Une façon de dire que nous, nous ne gardons que l’essence, il n’y a pas de fantaisie, nous n’avons pas droit à la fantaisie et c’est très important de comprendre que si nous sommes dans une profession sinistrée cela veut dire que nous sommes à terre. Aujourd’hui, nous avons de la chance d’être sur cette terre africaine riche qui est en train de se réveiller et dont les hommes, qui sont la principale richesse, au-delà des minerais, de l’énergie prennent conscience….

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