Grande Interview: Nébila Aristide Bazié, Président de l’Ordre des architectes du Burkina

 

« L’Architecture est une expression de la culture. Il est donc logique que la diversité de la culture africaine entraine la diversité de son architecture. »

 Comme beaucoup de ses pairs, Nébila Aristide Bazié a à cœur le souci d’assainir la profession d’architecte au pays du Faso. Et, c’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles, il a été porté à la tête de l’Ordre des Architectes du Burkina (OAB) le 27 mai 2021. Pour Nébila Aristide Bazié et son équipe, il faut donner un nouvel élan à ce corps de métier en le débarrassant avant tout des imposteurs mais aussi en promouvant une nouvelle vision de l’architecture, à la fois, au pays des hommes intègres et en Afrique. Autant d’arguments qu’il développe dans cette interview. Lisez plutôt.

Home (H): Le 27 mai 2021, vous avez pris officiellement fonction en tant que président de l’OAB. Sous quel signe avez-vous placé votre mandat ?

Nébila Aristide Bazié (NAB) : Tout d’abord, je voudrais féliciter le Conseil sortant de l’Ordre des architectes du Burkina et son président, Fabien Ouédraogo, pour le travail abattu au profit de notre corporation. En prenant mes fonctions le 27 mai 2021, l’actuel Conseil de l’Ordre que je préside, mesure toute la dimension de la mission de servir les architectes burkinabè. C’est pourquoi nous avons placé notre mandat sous le double signe de la cohésion entre tous les confrères et l’ouverture non seulement, avec les autres corps de métiers complémentaires, mais aussi avec l’ensemble des personnes qui sont censées avoir besoin de nos services.

H : Quels sont les défis auxquels vous et votre équipe faites face à ce jour ?

N.A.B : Notre premier grand challenge est celui de la mobilisation et de la cohésion interne. Ce challenge est primordial pour nous puisqu’il va nous permettre de faire face plus sereinement aux défis régionaux et internationaux. L’Ordre des architectes du Burkina ne vit pas en vase clos. Il fait partie de plusieurs organisations sous régionales et internationales, notamment, l’Union Africaine des Architectes (UAA), l’Union Internationale des Architectes (UIA), la Fédération des Architectes Francophones d’Afrique (FAFA), la Conférence des Ordres des Architectes de l’UEMOA (COA-UEMOA) dont les textes harmonisés de la profession sont en cours de transposition par les différents Etats. Vous notez donc que cela constitue pour nous un réel challenge de faire aboutir l’adoption de la loi communautaire afin de garantir la libre circulation de nos confrères dans tout l’espace UEMOA.

H : Quels sont les grands chantiers que vous avez déjà engagés depuis votre prise de fonction ?

N.A.B : Dès notre prise de fonction, nous nous sommes engagés sur plusieurs chantiers, notamment la recherche de solutions auprès de certaines organisations et de notre ministère de tutelle pour permettre à une grande partie de nos confrères d’avoir un accès aisé aux marchés. A ce titre, nous nous sommes attelés à la transparence dans l’accès à la commande publique. La veille permanente pour la protection de notre profession, l’amélioration de la visibilité de l’architecte et du métier d’architecte ainsi que l’organisation de formations multiformes pour élargir les compétences des architectes sont également des chantiers qui mobilisent notre énergie. Nous avons aussi à cœur de nouer des partenariats crédibles et exemplaires pouvant contribuer à rendre financièrement plus solide l’Ordre.

H : Quel bilan peut-on faire des douze premiers mois de votre gestion ?

N.A.B : Il est difficile de parler de bilan dans un délai aussi court d’autant plus que les défis sont nombreux et la tâche immense. Toutefois, nous pouvons citer quelques actions concrètes menées en lien avec les grands chantiers sur lesquels nous nous sommes engagés. Il s’agit notamment de la mise en pratique du stage professionnel obligatoire de 2 ans pour tous les nouveaux diplômés afin de mieux les encadrer avant qu’ils s’installent, la formalisation de nos relations avec les autres Ordres notamment l’OIGC, l’OUB, l’Ordre des Géomètres avec lesquels nous avons mené des actions concertées dans le sens de la défense de nos intérêts respectifs. Nous avons également entrepris la concertation avec le MEBF et travaillons ensemble à lutter contre les signatures de complaisance et veillons au respect de la règlementation en matière d’obligation d’obtention de l’autorisation de construire. Aussi, nous avons débuté nos séminaires de formation qui sont actuellement en cours. Pour donner plus de visibilité à l’Ordre, ainsi qu’à la profession d’architecte, nous nous sommes attachés les services d’un cabinet de communication et nous avons engagé des discussions avec des médias pour nous accompagner dans notre stratégie de communication.

H : L’une des missions premières de l’OAB est d’encadrer le métier d’Architecte en veillant aux bonnes pratiques liées à la profession. Comment pensez-vous réussir cette mission?

N.A.B : Nous travaillons à combattre les pratiques sur les réseaux sociaux. Nous avons déjà interpellé une dizaine de personnes qui s’adonnent à ces pratiques, par des courriers de mise en garde et nous avons aussi fait passer des communiqués dans certains journaux de la place, pour non seulement mettre en garde les auteurs, mais aussi et surtout, attirer l’attention des populations et appeler à leur vigilance. Nous sommes conscients qu’il sera difficile d’éradiquer totalement le phénomène, mais nos actions de communication envers les populations contribueront à réduire au maximum leur champ d’influence. Construire une maison, c’est un lourd investissement sur le long terme. Il est donc périlleux de confier un tel investissement à des imposteurs. Les citoyens cherchent à être conseillés par de meilleurs architectes et nous sommes là pour répondre à leurs attentes et nous ne permettrons pas à un groupe d’individus mal intentionnés d’utiliser les réseaux sociaux pour saboter la réputation de notre profession.

H : Nous voyons de plus en plus des immeubles s’effondrer au Burkina. Qu’est-ce qui peut expliquer ces drames ?

N.A.B : C’est vrai, il y a eu ces dernières années, des cas d’effondrement d’ouvrages notamment dans les centres urbains mais aussi dans les provinces. Nous déplorons cette situation qui apporte de la désolation puisque, parfois, il y a eu des cas de perte en vies humaines. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette situation. Tout d’abord, il faut noter que plusieurs acteurs interviennent dans le processus de l’acte de bâtir. Il s’agit notamment des Architectes, des Ingénieurs, des organismes de contrôle technique, des bureaux de suivi-contrôle, des entreprises, etc. Ces effondrements peuvent être liés à une défaillance humaine notamment des défauts de conception technique (structure), des manquements de suivi-contrôle qui incombent aux techniciens (architectes, ingénieurs), mais aussi la mise en œuvre qui est du ressort des entreprises. Il faut également noter que la qualité des matériaux qui constitue une défaillance matérielle, peut jouer un rôle très important dans la stabilité des ouvrages. Malheureusement sur la place du marché national un phénomène est apparu : il s’agit de la tendance générale, commerciale à fournir des matériaux de mauvaise qualité (section réduite des fers à béton, sacs de ciment ne pesant pas parfois 50kg, etc.). Le non recours systématique au laboratoire spécialisé pour la vérification des sections d’acier et la qualité du béton et des matériaux (agrégats) de manière générale, dans le cas d’ouvrages de grande envergure publiques ou privés, peut aussi contribuer à la réalisation d’ouvrage de mauvaise qualité. Ce sont donc des facteurs humains, techniques et matériels qui parfois, seuls ou combinés, entrainent ces désastres.

H : De plus en plus nous assistons à la promotion de constructions à base de matériaux locaux. C’est quoi l’avantage ?

N.A.B : La tendance à construire avec les matériaux locaux n’est pas nouvelle en tant que telle. Depuis longtemps dans notre pays, il y avait plusieurs projets de fabrique de matériaux locaux tels que les briques alvéolées, les BTC, les BLT, etc. Au temps de la révolution, des cités ont été construites avec ces types de matériaux et certaines expériences ont été faites sur la terre elle-même, par exemple le bâtiment de l’ADAUA. C’est vrai que ces dernières années, le phénomène est revenu à la mode et on note un intérêt prononcé des architectes, du  ministère, puisque de plus en plus certains bâtiments sont construits avec ces matériaux. De toute évidence ces matériaux dénommés éco-matériaux présentent un avantage écologique certain et assurent un meilleur confort thermique par rapport aux parpaings de ciment. Le coût de ces matériaux reste relativement cher, mais nous pensons qu’une volonté politique visant à encourager les différents acteurs dans le domaine pourrait l’amoindrir considérablement.

H : Avec la croissance démographique en zone urbaine, quel regard portez-vous sur l’architecture en Afrique ?

N.A.B : L’Architecture est une expression de la culture. Il est donc logique que la diversité de la culture africaine entraine la diversité de son architecture. On notera que beaucoup de groupes ethniques en Afrique ont leurs traditions architecturales. Ainsi, cette architecture est différente selon les zones (sahélienne, maghrébine, etc.) et les matériaux utilisés sont aussi variés. De manière générale, quel que soit la zone, cette architecture a été influencée par les constructions coloniales et les vestiges sont encore présents à travers le continent. De plus en plus de personnes en Afrique aspirent à vivre dans les villes où la démographie générale est galopante. Dès lors, l’architecture doit revêtir un caractère plus groupé même si cela ne correspond pas à nos habitudes communautaires. Au Burkina Faso par exemple, il y a de nombreux lotissements avec attribution de parcelles individuelles. Mais très souvent ces zones loties ne sont pas convenablement viabilisées et les réseaux de distribution d’électricité et d’eau ne sont pas disponibles immédiatement. Il y a aussi la naissance de sociétés immobilières. Comme je l’ai déjà dit, nous devons penser aux logements collectifs qui ne sont pas du tout développés dans notre pays, contrairement à des pays comme le Sénégal ou la Côte d’Ivoire, pour ne citer que ces deux exemples. Le génie architectural doit permettre d’être en harmonie avec l’environnement par l’utilisation des matériaux locaux écologiques et disponibles. C’est d’ailleurs avec ces matériaux connus que les différentes communautés bâtissent leurs maisons. En tant qu’architecte, nous devons donc favoriser une insertion judicieuse desdits matériaux (BTC, BLT, etc.) dans les modes de construction tout en permettant à chacun, selon sa bourse, d’obtenir un minimum de confort dans la maison qui lui est proposée.

H : Votre confrère Francis Kéré a été désigné meilleur architecte du monde, à travers le prix Pritzker. Comment avez-vous accueilli cette distinction au sein de l’OAB ?

N.A.B : Nous avons accueilli cette distinction de notre confrère et compatriote Diébedo Francis Kéré avec une réelle fierté. Cette fierté est partagée non seulement par tous nos confrères mais aussi par l’ensemble du peuple Burkinabé. Le Prix Pritzker est prestigieux et est l’équivalent du Nobel d’Architecture.

H : Quel peut-être l’avantage d’un tel prix pour le Burkina Faso et l’Afrique ?

N.A.B : Je parlerai plutôt d’impact, et l’impact est énorme. Ce prix vient mettre en lumière le travail abattu par Francis, dans sa persévérance de la pratique de l’architecture tournée vers la recherche de solutions de confort pour toute catégorie de personne en prenant en compte l’environnement. Une lumière est également faite sur l’architecte africain. Cela rehausse surtout l’image du Burkina Faso et de l’Afrique, puisque c’est la première fois que ce prix est décerné à un africain. Désormais le nom du Burkinabè Diébedo Francis Kéré, est inscrit aux côté de plusieurs autres noms emblématiques de l’architecture tels que Norman Foster, Zaha Hadid, Oscar Niemeyer, etc. La nature des travaux du confrère qui lui ont permis d’être le lauréat, des travaux basés entre autres sur l’utilisation des matériaux locaux, vient redonner une importance particulière à ceux-ci dans nos constructions.

H : Quel est votre mot de fin ?

N.A.B : Comme mot de fin, nous prions ardemment pour que la paix revienne dans notre pays pour permettre à toutes et à tous de mener les activités essentielles au développement de notre pays. Nous voulons réaffirmer à l’ensemble de nos confrères notre désir avec leur concours de réaliser le maximum des points inscrits dans notre programme d’activités. Nous voulons faire mieux connaître le métier d’architecte et être plus proches de nos concitoyens en brisant ces barrières imaginaires qui semblent nous rendre inaccessibles. Nous invitons nos concitoyens et concitoyennes à avoir recours toujours à un architecte lorsque le besoin de construire se fait sentir, et avoir donc le réflexe de consulter le tableau de l’Ordre, sur nos plateformes Facebook, site web et, pour être sûr d’avoir le bon interlocuteur, compte tenu des nombreux usurpateurs de titres qui font la publicité mensongère sur les réseaux sociaux, car chaque citoyen mérite son confort.

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