Vice-président de l’Union des architectes d’Afrique (AUA) pour la région ouest du continent et secrétaire de la conférence des Ordres des architectes de l’UEMOA, Francis Fabien Z. Ouédraogo plaide pour une architecture enracinée dans les réalités africaines. Dans cet entretien, l’ancien président de l’Ordre des architectes du Burkina Faso, qui exerce au Burkina Faso dans une agence d’architecture et d’urbanisme forte de 20 ans d’expérience, revient sur les défis de l’urbanisation galopante, la valorisation des compétences locales et la nécessité d’un urbanisme durable, inspiré de la culture et des savoir-faire traditionnels du continent.
Home Magazine : Comment avez-vous accueilli votre élection au poste de vice-président de l’AUA pour la région Ouest de l’Afrique ?
Francis Fabien Z. Ouédraogo : Avec honneur et appréhension toutefois. Honneur car cela est une reconnaissance de mes pairs, reconnaissance pour mon engagement pour la profession. Je reçois cela comme une grande marque de confiance. Appréhension car j’imagine la lourde tâche et les grands défis qui m’attendent pendant ces trois ans.
En quoi va consister votre rôle ?
L’Union des architectes d’Afrique (AUA) regroupe plus de 40 pays (Ordres des architectes) et est organisée en cinq régions géographiques. Ces régions ont à leur tête un vice-président, qui représente le président de l’AUA.
La région Ouest est la plus grande et couvre quinze pays. Il s’agira donc de travailler avec les Ordres (sections membres) de ces pays, de porter le message du Président, de le représenter au besoin aux activités, de soutenir et d’encourager les activités entre et dans les pays, de faciliter toutes activités de promotion de l’architecture.
Nous avons eu notre première réunion de conseil AUA le vendredi 31 octobre 2025. Les axes majeurs du mandat du président Francis Sossah portent sur la revalorisation du patrimoine culturel africain. Nous devons apprendre à capitaliser nos richesses, les exploiter, s’en inspirer pour créer des projets.

Le 14ᵉ congrès de l’Union des architectes d’Afrique, lors duquel vous avez été élu, était placé sous le thème : « La résilience des villes africaines face aux défis industriels et aux catastrophes naturelles ». Que vous inspire ce thème ?
Ce thème nous interpelle tous, notamment les professionnels au Burkina Faso qui voient depuis quelques années une floraison des exploitations minières. Il faut noter que beaucoup sont des mines à ciel ouvert. Nous devons, en tant que concepteurs et acteurs, apporter notre contribution à la réflexion. Attirer l’attention des décideurs sur les conséquences de ces activités et être une force de propositions.
Savez-vous que le grand canal que l’on voit dans certains films (Terminator par exemple) est un fleuve réaménagé pour gérer les inondations dans la ville de Los Angeles ? Il est rarement plein mais il est là au cas où. C’est de la vision, de la prévention et de l’anticipation. Les recherches au fil du temps ont permis de trouver des solutions face à certaines catastrophes comme les tremblements de terre ou les inondations. Mais face à certaines prévisibles ou non comme le tsunami ou l’éruption volcanique, il faut accepter que la nature a, pour le moment, le dessus sur l’homme.
À une faible échelle locale, vous avez le phénomène des zones d’emprunts par exemple. Ces espaces où l’on extrait la terre pour faire des briques en banco ou des briques taillées deviennent de vrais cratères et des zones à fort risque. Les accidents sont légion chaque année sur ces sites en saison pluvieuse. Au-delà de l’impact sur l’environnement, nous sommes face à un réel problème de sécurité.

Que faire de ces sites ? Les spécialistes que nous sommes peuvent apporter des pistes de solutions d’exploitation. Cela peut aller de la végétalisation ou au bassin de rétention, au parcours sportif et même à l’exploitation agricole. Transformation, restructuration, mutation des espaces : tels sont nos défis.
Comment analysez-vous l’état actuel de l’urbanisation en Afrique de l’Ouest, notamment en ce qui concerne le rythme de croissance, la planification urbaine et l’adaptation aux défis environnementaux ?
Beaucoup de choses à dire sur ce point. Le taux d’urbanisation en Afrique de l’Ouest est en permanente croissance. On dit même que la population urbaine devrait doubler d’ici 2050. C’est dire que nos villes doivent être réaménagées et adaptées pour y faire face. Je ne reviendrai pas sur les raisons de cette urbanisation galopante, mais on peut citer, entre autres, l’exode rural, la démographie, le faible niveau d’infrastructures des petites villes et une décentralisation pas si effective que cela.
Il faut travailler à créer des pôles urbains secondaires forts afin de limiter que tout soit centralisé dans la capitale. D’autres pays ont réussi à différencier les capitales politiques et économiques justement afin de créer un certain équilibre géographique (le Nigéria par exemple). La Côte d’Ivoire n’a pu faire de Yamoussoukro sa capitale politique effective et tout est centralisé à Abidjan.
Ouagadougou fait face à un étalement urbain sans précédent. Ouagadougou est une ville plus ou moins plate, sans barrières naturelles (fleuve, colline, mer, etc.) et fait plus de 25 km de diamètre pour une population estimée à 3,5 millions environ en 2025. Le faible niveau de revenus, le coût des matériaux ont conduit la population à privilégier des logements en RDC au lieu des logements en hauteur. Culturellement aussi, le Burkinabé n’est pas encore à l’aise de vivre en hauteur en appartement, mais au fil des ans, les mentalités vont changer et évoluer. Les parcelles devenant plus petites et plus chères.
Cela aussi ne peut se faire sans que l’État ne joue sa partition sur l’accès aux matériaux. Le Burkina Faso est un pays enclavé et on importe pratiquement tout à des couts difficilement accessibles au commun des Burkinabè. Nous avons plus de cinq cimenteries mais le prix de la tonne de ciment reste le même, il y a forcément quelque chose à faire à ce niveau.
Ouagadougou n’a qu’un seul poumon vert, le parc Bangr-Wéogo, et tous ceux qui résident non loin vous diront tout le bien que cela leur procure sur le plan du microclimat. La ceinture verte prévue autour de Ouaga n’est pas effective et est malheureusement détournée de sa fonction initiale. Les espaces verts prévus dans les lotissements sont ensuite morcelés et/ou détournés de leur affectation. Peut-on vivre dans une ville sans espaces verts ? Qu’à cela ne tienne, il faut que la population en prenne conscience et accepte de planter également des arbres. Combien en ont devant chez eux ou dans leurs cours ? On ne plante pas d’arbres mais on aime bien s’asseoir sous celui du voisin (rires). La prise de conscience doit être individuelle et collective. Les décideurs doivent aussi se faire accompagner par des professionnels afin qu’ils les guident et les conseillent sur les meilleures pratiques en matière de gestion des villes.
Quels sont, selon vous, les principaux défis en matière de développement urbain pour la région ouest de l’Afrique, et comment votre mandat de vice-président entend-il y répondre ?
Sans être expert dans le domaine de l’urbain, je dirais que les principaux défis sont, entre autres, la mobilité urbaine. Nos villes sont surpeuplées de véhicules à forte émission de gaz. Il faudra, sur le moyen terme, aller vers des énergies vertes et diversifier l’offre de transports urbains, faciliter les échanges de flux.
L’autre axe serait de valoriser les compétences locales en matière d’architecture et d’urbanisme. Malheureusement beaucoup de projets sont conçus ailleurs et réalisés dans nos pays sous prétexte de la source de financement. Or nous avons des compétences locales riches et éprouvées. Les décideurs doivent faire confiance aux architectes africains. Pour preuve, le prix Pritzker 2024 a bien été donné à un Burkinabè (Francis Kéré, Ndlr), par exemple, et cela a fait la fierté de tout le continent.
Troisième défi est l’accès au logement. Avec 50 % de la population vivant en ville d’ici 2050, il ne sera pas facile de se loger. Il faudra travailler à rendre le logement accessible, disponible et maitriser, voire arrêter l’étalement urbain horizontal.
Le dernier défi, non moins important, auquel je pense serait d’être en phase avec la transition écologique qui vise à mettre en place un modèle de développement résilient et durable qui repense nos façons de consommer, de produire, de travailler et de vivre ensemble.
Au niveau de l’AUA, nous faisons un plaidoyer dans ces directions justement. Valoriser les compétences locales à travers des conférences, des formations, des communications. Nous organisons des concours d’idées sur les enjeux actuels (le dernier a porté sur l’habitat d’urgence). Nous travaillons aussi à une collecte et diffusion du riche patrimoine culturel africain.
Nous devons éveiller les consciences car notre profession est déclarée d’utilité publique et nous avons une responsabilité sociale. Dixit Dominique Gauzin-Müller : « L’architecture est un acte politique, social et environnemental. »
Comment, selon vous, on peut intégrer des solutions basées sur la nature dans l’architecture et l’urbanisme pour atténuer les îlots de chaleur et améliorer la gestion des eaux pluviales dans les villes ouest-africaines ?
Pour améliorer le confort dans notre région soudano-sahélienne, vous pouvez…
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